Le poulpe vs le Triton

Publié le par Paul Perrissel

Les plongeurs me fascinent ! Au bord de mon trou, je vous regarde barboter maladroitement et surtout je suis toujours étonné du bazar que vous embarquez pour respirer tant bien que mal pendant si peu de temps. Bon sang, c’est pourtant si simple quand on est un céphalopode comme moi. Je vous décris rapidement ce qui fait ma supériorité par rapport à homo sapiens sapiens : j’ai déjà du sang froid… Je n’ai effectivement pas peur de grand-chose mais surtout je n’ai pas besoin de produire de la chaleur comme vous pour faire fonctionner la mécanique et par conséquent je consomme beaucoup moins d’énergie et donc moins de combustible. Par conséquent j’ai moins besoin d’oxygène ! Cet oxygène je le prends directement dans l’eau par l’intermédiaire de mes branchies. Je ne suis pas exhibitionniste comme ces frimeurs de poissons, les miennes sont cachées dans mon manteau dans lequel je fais circuler de l’eau tranquillement. Et là, par diffusion osmotique, j’absorbe de l’oxygène et rejette mon CO2. C’est quand même plus simple que vos poumons. Même en étant au sommet de l’évolution, vous ne savez pas faire ça !

 

 

Le poulpe vs le Triton

Alors vous cherchez à combler vos faiblesses par des artifices divers et variés et vous ne manquez pas d’imagination. Je ne reviens pas sur votre concept : air comprimé, bouteille, détendeur, poumons, vous le connaissez mieux que moi. Au fond de mon repère, j’ai découvert de drôles d’élucubrations pour tenter de vous faire plus malin que les poulpes ! Vous fantasmez sur des systèmes respiratoires plus efficaces que nos branchies !

Le poulpe vs le Triton

Mais depuis quelques mois circule sur vos réseaux sociaux une invention miraculeuse appelé Triton. Un appareil respiratoire minuscule qui permettrait de respirer pendant 45 minutes sous l’eau jusqu’à une profondeur de 5 mètres. En réalité, ce splendide appareil est la création d’un designer coréen. Mais des petits malins ont repris à leur compte l’idée géniale et ont lancé une campagne de fonds participatifs (crowdfunding) pour commercialiser l’invention au prix de 300 dollars ! Grosse arnaque !

Le poulpe vs le Triton

Dans l’état actuel de la technologie humaine, c’est physiquement impossible et je vais vous prouver ce que j’avance.

Respirer de l’oxygène pur est toxique pour l’homme, à partir d’une pression de 1,6 bars il provoque des crises d’hyperoxie et respiré à une pression plus basse (0,5 bars) mais pendant plus de 2 heures, il brule les alvéoles pulmonaires (effet Lorrain Smith) et peut provoquer un œdème pulmonaire. Donc l’utilisation du Triton est donc potentiellement dangereuse et son hypothétique utilisation forcement limitée. Qu’importent ces risques, comment peut-on produire de l’oxygène pur dans un si petit matériel ?

Première solution, l’osmose ; c’est-à-dire la diffusion à travers une membrane. On sait le faire entre 2 liquides (produire de l’eau douce à partir de l’eau de mer), on sait le faire entre 2 gaz mais on ne sait pas encore le faire entre un liquide et un gaz. Donc fin de la solution miracle !

Le poulpe vs le Triton

Deuxième solution, l’électrolyse ; cette solution est parfaitement maitrisée… On fait circuler un courant entre 2 électrodes immergées dans de l’eau. Il se dégage alors de l’oxygène et de l’hydrogène. Voilà une piste intéressante… Quelle quantité faut-il produire pour fournir assez d’oxygène à un plongeur à 5 mètres  de profondeur pendant 45 minutes ? Même si la consommation d’oxygène est faible, il faut remplir le volume pulmonaire à chaque ventilation. En surface, un plongeur consomme environ 20 litres par minutes, à 5 mètres de profondeur, pour une ventilation normale il faut être en équipression avec l’eau, soit 1.5 bars. La consommation passe donc à 30 litres par minute. Pendant 45 minutes, il faut donc produire 1350 litres d’oxygène à la pression atmosphérique !

Le poulpe vs le Triton

Pour produire une telle quantité d’O2, il faut faire circuler un courant de 7730 ampères avec une tension de 3 volts soit une puissance de 23190 watts ! La batterie capable de délivrer une telle énergie dépasse largement la taille d’une batterie de téléphone (1800 mA*h) ou alors c’est une révolution technologique qui dépasse largement le monde de la plongée.

(Merci à Raphaèl pour le soutien en Chimie... j'ai un peu perdu depuis le temps !)

Pour l’anecdote, l’eau de mer contient une grande quantité de chlore dissous et l’électrolyse de l’eau de mer va dégager ce gaz mortel ! Donc, là encore, fin de la deuxième solution miracle.

Troisième solution, le stockage du gaz; c’est la solution utilisée par vos bouteilles. Au vue du design du Triton, il se pourrait que les 2 cylindres extérieurs soient en fait des petites bouteilles permettant de stocker 1350 litres de gaz (cela pourrait être de l’air, ce qui serait plus simple, moins dangereux et plus économiques). D’après l’illustration on peut imaginer un volume de stockage de 2 fois 200 cm3. Il faut donc comprimer ces 1350 litres de gaz dans 400 cm3, c’est-à-dire à une pression de 3375 bars ! Par rapport aux bouteilles de plongées gonflées au maximum à 300 bars cela fait une petite marge…

 

Et pourtant, cela existe ! Une société suisse fabrique des réservoirs de gaz de 0.5 litre à 1.5 litre avec des pressions de plus de 4000 bars (60kpsi)… Ces réservoirs en inox sont très épais donc lourds pour un système buccal. D’un point de vue technologique, on ne sait pas encore faire un détendeur miniaturisé capable d’abaisser la pression de 4000 bars à 1 ou 2 bars. Evidemment le prix de ces petites enveloppes est exorbitant, et il faut le compresseur qui va bien pour atteindre les 4000 bars. (Je ne parle pas de la tête du contrôleur de l’Apave quand il doit rééprouver  une bouteille à une  pression d’épreuve de 6000 bars !) Cette solution reste envisageable cependant et n’est pas totalement farfelue…

Le poulpe vs le Triton

Le Triton reste donc à ce jour un joli exercice de design mais une vaste fumisterie d’un point de vue technique.

Le poulpe sort vainqueur du combat contre le Triton par KO technique !

Mais… Il y a encore des solutions encore plus délirantes mais qui font l’objet de vraies recherches. Par contre vous devrez attendre le prochain billet du poulpe pour les découvrir…

Publié dans Jet d'encre

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L
Mais bien sur qu'on sait extraire du gaz d'un liquide, je vais même le faire plusieurs fois pendant les f^tes à chaque fois que je vais ouvrir une bouteille de champagne !
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